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6 juin 2021

Tu te pensais dieu, mais tu n'étais qu'homme

Glass_01

Glass (2019), M. Night Shyamalan

Au plus fort de la polémique concernant les créations du MCU (Marvel Cinematic Universe), Martin Scorsese avait soutenu que la dimension humaine ne pouvait se déployer dans des œuvres cinématographiques où les protagonistes principaux flottent au-dessus de la condition commune par leur surhumanité.

Cette problématique, à notre sens, était atténuée dans les premiers films de superhéros des années 2000 dont les récits introduisaient l'aspect fantastique auprès du spectateur à travers le point de vue interne de personnages adolescents souvent mal dans leur peau. À ce titre, on pense au Peter Parker des Spiderman de Sam Raimi, (anti-)héros construit pour créer une identification positive avec l'échantillon représentatif supposé du consommateur majoritaire des blockbusters hollywoodiens. Le pendant féminin de l'homme-araignée était sans doute Malicia des X-Men de Bryan Singer, jeune fugueuse dont les pouvoirs se manifestent pour la première fois au cours d'un rapport charnel.

Ce cheminement initiatique a désormais disparu des films de superhéros, et ce, pour plusieurs raisons. D'abord car ces productions sont pour la plupart des suites ou des spin-off. Ensuite parce-que le spectateur n'a plus besoin d'être initié. Habitué depuis deux décennies à ces univers, il en a compris les codes. Partant de là, le questionnement soulevé par Scorsese trouve sa pertinence.

La fin du précédent opus, Split, laissait présager que l'ultime volet de la trilogie se concentrerait sur le combat entre Bruce Willis et James McAvoy. Si cet affrontement est amorcé vers le début de Glass, il est néanmoins interrompu par l'irruption inopinée du personnage interprétée par Sarah Paulson. L'habileté de Shyamalan fut de procéder rapidement ce contre-pied consistant à déplacer la ligne de front de son intrigue. À l'échauffourée entre la Bête et le Surhomme vient se substituer le duel entre la scientifique et le prêcheur, dessinant ainsi le clivage fondamental opposant d'un côté le rationalisme et de l'autre la foi.

Sarah Paulson s'est donnée pour mission de convaincre les individus dotés de capacités hors du commun qu'ils n'ont rien d'exceptionnels. C'est en tentant d'insinuer le doute dans l'esprit des protagonistes que Shyamalan leur restitue leur humanité. Le personnage incarné par James McAvoy, figure anti-divine tout autant que divinité primitive avide de sacrifices humains, s'interroge quant à savoir s'il possède réellement des dons exceptionnels ou s'il n'est en définitive qu'un homme prisonnier de ses illusions. En cela, Glass n'opère pas une rupture vis-à-vis du premier film de la saga. C'est bien parce-qu'Incassable s'inscrivait dans un univers réaliste que l'incrédulité concernant le caractère superhéroïque est ici possible.

Shyamalan accomplit une révolution au sens strict du terme. Il revient à son point de départ comme s'il avait prévu il y a vingt ans que l'industrie hollywoodienne allait s’engouffrer dans les chemins de perdition de la numérisation à outrance auquel il a pu, par ailleurs, lui-même succomber occasionnellement (à cet égard, on oubliera volontiers l'impersonnel Dernier maître de l'air). Son meilleur cinéma est celui du rappel à la matière. Au conte de la Belle et la Bête revisité dans Split, où une femme est enlevée et séquestrée par un monstre, vient s'ajouter le mythe inversé d'Orphée dans lequel Eurydice va chercher son bien-aimé aux Enfers (histoire en outre déjà traitée dans Le Village). La jeune Casey (portée à l'écran par Anya Taylor-Joy), exploratrice en quête de l'humanité de son ancien ravisseur, ramène la personnalité originelle de James McAvoy en le touchant. La Bête et Bruce Willis se livrent à un pugilat où leurs chairs respectives s'entrechoquent. James McAvoy ne lévite pas, il grimpe, rampe sur les murs. Les os de Samuel L. Jackson craquent tel du verre.

Nous ferons l'impasse sur certaines facilités scénaristiques tant le film les recouvre par son ampleur. Seule la fin nous laissera quelque peu perplexe. Il peut paraître en effet surprenant que la révélation au grand jour de l'existence des superhéros s'effectue aussi aisément alors même que, la trilogie entretenant la confusion entre l'ordinaire et l'extraordinaire, la frontière qui sépare l'humain et le surhumain s'avère plus floue que jamais. À moins que par ce dénouement, Shyamalan ait voulu questionner le spectateur quant à savoir dans quelle mesure celui-ci était prêt à accepter de revenir à un cinéma à visage humain.

Note du film : 3,75/5

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