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5 décembre 2021

Happy end

R

 Carol (2015), Todd Haynes

Carol narre la rencontre amoureuse entre deux femmes, Carol Aird (Cate Blanchett) et Therese Belivet (Rooney Mara), dont la relation se retrouve contrariée par les conventions sociales de leur temps. Avec un tel synopsis, Todd Haynes s'engageait dans un terrain miné tant il était alors facile de céder à l'écueil d'un récit moralisateur lourdingue, caricatural et manichéen. Précisons-le d'emblée : ce n'est pas le cas.

À l'instar de « La vie d'Adèle », Carol relate une liaison sentimentale entre deux personnages féminins dont l'un est issu d'un milieu privilégié tandis que l'autre provient des classes populaires. Mais contrairement au film d'Abdelatif Kechiche, celui de Todd Haynes fait primer les affects individuels sur les frontières sociologiques : Cate Blanchett et sa partenaire s'aimeront par delà leurs différences sociales (et leur écart d'âge).

Carol est peut-être (sans doute) une œuvre à visée militante, mais elle n'est toutefois pas guidée par le ressentiment. La première habileté du réalisateur fut de maintenir l'action de son récit dans un passé relativement lointain. Ce choix s'avère pertinent car il permet de procéder à une distanciation temporelle : l'éventuelle mise en accusation n'est pas ici portée à l'endroit d'une possible intolérance contemporaine.

Le réalisateur évite aussi soigneusement le piège qui aurait consisté à faire de Carol et Thérèse deux femmes précurseures dans le combat en faveur des droits des homosexuels. En effet, nos deux héroïnes ne sont nullement des partisanes du coming-out. Le courage leur fait défaut. Leur maxime aurait pu être : pour vivre heureuses, vivons cachées. Elles ne demandaient rien de mieux que de s'abandonner à leur passion à l'abri des regards. C'est contre leur gré que la nature de leur relation sera exposée au grand jour.

Todd Haynes sublime visuellement les lieux et l'époque qu'il dépeint. Nous avons largement quitté le domaine du réalisme pour rejoindre celui de la représentation fantasmée. Les décors, les costumes, les gestuelles...tout y apparaît d'une élégance excessive. Il est par ailleurs intéressant de soulever la nostalgie personnelle que laisse échapper le cinéaste, par sa mise en scène, pour une Amérique des années 50 dont il nous montre pourtant la cruelle iniquité.

Dans l'ultime confrontation avec son ancien conjoint, Harge Aird (Kyle Chandler), Carol consent à lui laisser la garde de leur enfant et s'excuse de ne pas réussir à donner l'affection qu'il serait en droit d'exiger de la part de son épouse. Curieuse et douteuse morale où la victime requiert le pardon de son bourreau. Mais si Todd Haynes peut s'autoriser cette conclusion, c'est que l'homophobie dont il fait état est davantage celle d'un système et non d'individus particuliers. Le mari est un homme en détresse qui se sert de l'intolérance institutionnelle de la société dans laquelle il vit pour essayer de récupérer sa conjointe. En outre, l'enquêteur chargé de réunir les preuves concernant les penchants du personnage interprété par Cate Blanchett est motivé par des raisons bassement crapuleuses. Néanmoins, ces antagonistes qui tentent au cours du film de faire obstacle à la liaison entre les deux amantes ne sont pas pour autant mus par un sentiment de haine ou même simplement de rejet vis-à-vis de l'orientation sexuelle de ces dernières.

Lors de la toute dernière scène du film, Therese pénètre dans un restaurant bondé à l'intérieur duquel est attablée Carol, en compagnie de plusieurs autres convives. Leurs regards se croisent au milieu de la foule. Aucun mot n'est prononcé. Nous comprenons par cet échange silencieux que leur idylle connaîtra une suite. Nous savourons cet instant aérien devenu trop rare où la puissance du cinéma se rappelle au spectateur par sa capacité à le faire frissonner d'émotion.

Si le film de Todd Haynes fonctionne, c'est parce-qu'il n'est ni cynique ni animé par la rancœur. Les protagonistes ne sont pas transformées en martyres et leur amour n'est pas non plus voué à une fin tragique. Le cinéaste s'accorde la naïveté de rapporter une romance, a priori impossible, dont le dénouement se révèle heureux. Et c'était là la meilleure manière de soutenir la cause qu'il entendait défendre.

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